Une trop belle fille

LA FIN ?

Ils étaient cuits.

Alors que je les coursais dans la ville, ils avaient soudain pris une petite ruelle au hasard, large d'à peine deux ou trois mètres. En pensant m'échapper sans doute. Mais quelques secondes plus tard, lorsque j'entrais à mon tour dans cette ruelle, je découvrais deux ombres silencieuses, stoppées net dans leur fuite. Quelques pas devant moi.

« Hu hu... Ils vous embêtent bien ces murs nan ? »

Les pavés étaient sales et vieux, des ordures jettées à même le sol pourrissaient et faisaient le régal des rats. Et les murs... Ces murs craquelés... Je les remerciais.

L'épilogue de cette sombre affaire allait enfin se jouer. Je m'approchais lentement, souriant, prêt à leur laisser une chance.

« Hé ! Regardez ça ! Je pose ma masse ici ! J'vais pas vous éclater l'crâne ! Alors vous allez faire tout pareil que moi, et être gentils... On se comprend ? »

Ils n'avaient rien répondu. Ils savaient leur fin. Et elle était joyeuse. Ils en étaient paralysés.

« Alors ? »

Plus que quelques pas, et j'étais à leur niveau. Plus que quelques pas, et cette affaire était pliée. J'allais enfin pouvoir retrouver Léon et ses tournées gratis.

« Que... ?! »

Je me serais pincé si j'avais eu le temps.

Ces imbéciles -car il n'y a pas d'autre mot pour les qualifier- n'avaient pas fait semblant de tomber dans ce piège. Oh non. Ils savaient que je les filais. Ils m'avaient baladé. Et depuis le début. Des armes sortirent d'un sac quelconque au bout de l'impasse. Leurs armes.

Je jetais un coup d'oeil derrière moi et...

Evidemment des complices. J'étais pris en tenaille.

Je regardais alors mes pauvres mains. Elles allaient bientôt sentir le sang. Et pas même un bout de bois autour de moi poru les épargner.

« Tant pis... »

Tandis qu'ils s'élançaient vers moi, je soufflais un grand coup.

« Comment je me suis retrouvé dans cette galère ? »

RENCONTRE

C'était une journée comme les autres. Quelques fantômes déambulaient dans la ville, leur regard trahissant une certaine lassitude.

Je les reconnaissais facilement. Toute envie de castagne s'évanouissait en moi. Une pitié qui m'habitait depuis peu rendait ma masse lourde à chacune de ces rencontres.

Machinalement, je remontais mon col de fourrure, et continuais mon chemin.

J'avais quitté la taverne de Léon quelques heures, pour trouver mon antiquaire préféré. Il se chargeait de revendre les broutilles que je ramassais sur mes victimes. En assez mauvais état c'est vrai. Le comble c'est que j'aimais bien sa p'tite tête de rat appeuré quand j'entrais dans son échoppe.

Je ne savais rien de lui. Pas même son prénom. Une personne inconnue. Comme l'étaient tous les autres.

Cette rue était tellement longue.

Je traînais des pieds. J'avais besoin d'action. Quelque chose qui me ranime. Les caresses des putains n'arrivaient même plus à réveiller ma virilité. Je les connaissais par coeur. Et leurs manies, apprises par coeur, avaient finis par m'énerver.

Du genre à fermer une auberge pendant quelques jours.

La porte grinça. A entendre ce silence, l'animation n'était pas au rendez vous. Je prenais ma position favorite : accoudé au bout du comptoir. A attendre une seule chose : qu'on remplisse mon verre.

C'était la première fois que je la voyais.

Pas un mot depuis que j'étais entré. Je la remarquerai bien à temps. Et elle avait raison. Une telle femme ne laissait personne insensible.

Je m'étais redressé. Avec le sentiment curieux de sentir une présence. Pas celle Krom non. J'ai assez l'habitude. C'était autre chose. C'était elle.

Assise sur une simple chaise, elle se tenait droite, une délicieuse robe juste assez longue pour cacher ses genoux, et faire deviner ses longues jambes croisées. Elle tenait dans ses doigts une longue cigarette, et aspirait profondément ces bouffées avant de recracher lentement de petits ronds de fumée.

Elle ne me regardait pas.

Elle était là, absente, avec ce regard perdu qu'on prête aux âmes déçues. J'étais certain de ne jamais l'avoir vue. Une fille pareille ne pouvait pas être oubliée, même si on le désirait.

Comme Léon n'apparaissait pas, je décidais d'entamer la conversation. Avec toute la classe qu'elle méritait.

« Salut poulette ! »

Elle ne répondit pas.

ALBERT LE PERROQUET

Ca n'est que quelques minutes plus tard, qu'elle me fit signe. J'étais passé derrirère le comptoir, me servant des verres d'eau de vie, et observant sa respiration. J'inspire, j'expire, j'inspire, j'expire. Chaque fois, sa poitrine soulevée me faisait soupirer. Et je regardais mon verre vide. Et je le remplissais à nouveau. Et je regardais sa poitrine à nouveau.

« Gaabeupffseumblpf.... »

J'avais quitté mon invisibilité pour trouver la gloire d'être remarqué enfin.

« Monsieur ? »

J'avais arboré mon plus beau sourire, le temps de placer un p'tit morceau d'or pour combler un canine perdue. Et je m'étais approché d'elle. Avec de l'allure, pensais-je.

« Oui poulette ? »

« Haaaan... C'est trop dur... »

Elle avait jeté sa chevelure en arrière, une magnifique tignasse blonde. Des paupières aux terribles cils fins clos et un visage de toute beauté. J'étais béat.

« Gaabeuplf... Hum ! C'quoi votre problème ? Vous avez plus à boire ? Vous voulez que je vous saute dessus, vous enlève sur un destrier blanc et qu'on fasse l'amour pendant des jours dans un château ? »

« J'aimerais... Je voudrais... Han ! »

« Rhaaa mais dites ! Dites ! Sacré nom de Krom ! »

Elle avait réussi à me rendre fou en un instant. Avec ces débuts de phrase simplement ! Je ne la connaissais pas, je ne savais pas son prénom, elle aurait été du genre à se prendre une baffe direct, vu sa dégaine, et pourtant...

« J'ai besoin d'aide... Je ne peux plus rester comme ça, sans rien faire ! Vous comprenez ? »

« Allez donc ! Soulagez vous ! »

« Je n'en puis plus ! C'était tellement... Et pourtant ! Si vous saviez... »

« Rhaaa mais je ne demande que ça : savoir ! Z'allez me rendre ronchon si vous continuez comme ça ! »

« Vous êtes le seul... le seul à pouvoir... »

« ?!!! »

« A pouvoir retrouver mon Albert ! »

« Hein ?! Albert ? Votre mari ? Mais c'est pas grave ça ! On en trouve à la pelle dans le coin ! Et pis je pourrais vous satisfaire... Par intermittence... Jusqu'à ce que vous retrouviez...Comme jamais ! J'suis un peu en dèche en ce moment et... »

« Albert mon perroquet ! »

« Mais qu'est-ce que c'est que cette cruuuuuche booordeleuuuuh ! », pensais-je.

Résumons la situation. J'étais seul avec une dinde que j'aurais bien farci sur le comptoir. J'étais son futur héros désigné. Je voulais la farcire. Elle avait perdu son perroquet. Je pensais aux manières de la farcire. Il s'appelait Albert, un pauv' nom qu'elle devait avoir donné en souvenir de son grand père. J'étais excité comme jamais à l'idée de la farcire. Et pis j'avais soif aussi.

« Waaaah mais pourquoi je m'embête à vouloir être fin ? J'suis un barbare après tout ! J'vais la farcire ouééé !! »

« Vous acceptez ? »

Je tenais ma ceinture fermement avec mes deux mains. J'avais envie de la défaire, de la faire voler, de la faire tournoyer. Et pis CLAC ! Sur le popotin tout rose ! J'en salivais rien que d'y penser.

Mais j'ai sans nul doute voulu faire mon intéressant. Je lui ai jeté un regard en biais. J'ai relevé le menton. J'ai respiré fortement. Et je lui ai répondu.

« Tu sais quoi poulette ? Tu m'intéresses... J'vais tâcher de retrouver ton Bébert... Pour toi baby... J'vais faire ce qu'un barbare n'aurait sans doute jamais fait... Et pis à la fin... J'te farcirai... »

« Vous me quoi ? »

« Nan nan... Rien poulette... Huk huk ! »