Opération commando

C'était pour ce soir. La nuit idéale. Tout avait été pensé et repensé dans les moindres détails. Je ne sais pas si c'était de la folie, mais lorsque nous nous sommes retrouvés devant le château, je savais qu'il nous fallait aller au bout de notre plan.

« Léon ? »

« Yep ? »

« T'es prêt à me porter jusqu'aux remparts ? »

« Trop facile ma poule ! »

Sur le dos du dragon, je lui indiquais où me déposer. Il fallait être rapide et discret. Nous avions bien observé les rondes des gardes les jours précédents, et exactement 17 secondes étaient le temps dont nous bénéficions pour nous poser, trouver un coin où se planquer, se faufiler jusqu'à la salle renfermant notre objectif, et repartir sans un bruit. Tout ça avant que les gardes se rendent compte de notre présence.

Selon mes calculs.

« Tu crois que ça sera bon ? », me demanda Léon.

« Attends, on est des voleurs d'exception quand même... »

Ses pattes touchèrent le sol de pierre. Je sautais aussitôt, et scrutais dans le noir les environs.

« Tiens ? Qui a allumé une torche ? »

« C'est moi. »

« Rhaa Léon faut qu'on soit discret je t'ai dit ! »

« C'est pas moi qui ai parlé rirof. »

« Comment ? »

Je me retournais, et voyais deux gardes, armés de leur torche. Même pas le temps de réagir, c'est à ce moment que survint l'impensable. Léon, dans un mouvement héroïque dépassant tout logique physique, roula sur le côté, tomba dans le vide, déploya ses ailes, fit une figure digne des plus grands dragons, et d'un geste sec, envoya son casse croûte de la soirée dans la tête d'un des gardes. Un sandwich colombe-musareigne. Son plat préféré.

Cette diversion me permit d'asséner un coup de tête à l'autre bonhomme, et de finir l'autre. Le bruit n'alerta personne. Nous étions encore incognito dans l'enceinte du château.

Léon me rejoignit quelques secondes plus tard. Il était abasourdi par ce que je venais de faire. Les yeux dans le vide, les ailes tombantes, il n'était plus réceptif à quoi que ce soit.

« Hé ho Léon ? Ca ira tu sais, j'suis désolé de pas t'en avoir laissé un, mais il fallait être rapide et discret ! Tu te souviens hein ? Huk huk ! »

Aucune réaction de sa part. Je ne pouvais pas le laisser comme ça, il pouvait se faire repérer ainsi, et l'alerte serait donnée !

« Vite vite ! Une idée ! »

Mon regard se posa alors sur l'épée d'un des gardes.

« La douleur ? Oui ! La douleur le réveillera de son état ! »

Je m'emparais de l'arme, et me postais derrière le dragon. Je répétais deux ou trois fois le geste. Et je me lançais.

« WAKAAAAAI !!!!! »

Le plan commençait à prendre sérieusement de l'eau. Je n'avais pas du tout pensé à ce qu'il gueule comme ça. Mais ça avait eu son effet.

« RhaAaAAAA !!! Mais pourquoi tu m'as enfoncé cette épine dans le derrière ?! Tu crois que je suis insensible à ces machins là ?! Mes belles fesses !!! »

« Rhoo ça va hein ! Une p'tite épée de rien du tout ! Tu voulais que je te laisse à leur merci ? T'étais devenu une vraie statue ! Allez, on fonce maintenant ! Faut qu'on choppe 'ce que tu sais' ! »

« Mais c'était mon sandwich bon sang ! J'ai sué sang et larmes pour avoir cette colombe, et je l'ai sacrifiée sans hésitation ! »

« Gné ? Ton sandwich ? C'est pour ça que tu... T'inquiètes vieux ! On va les faire payer... Et ce qu'on va leur prendre te redonnera le moral ! »

« Nan mais tu comprends pas toi... On voit que t'en as jamais chassé... Ca te repère à des kilomètres à la ronde... Son instinct est redoutable... »

« Oui, mais on va y aller là... non ? »

« Tu te rends compte que j'ai du me déguiser en gargouille ? Hein ? Et que j'ai du rester immobile sur cette fichue église pendant des heures ? Un nouveau style à la mode... En gothique de partout ! »

« Gné ? »

« J'ai du me défendre tu comprends... C'est un de ces crânes rasés qui me l'a dit en voulant me chasser du toit... Il était avec son balai... Ouste ! Va-t-en le monstre ! Pas touche à mon église gothique toute neuve ! »

« Euh... »

« Et pis il croyait me faire quoi au juste ? Il faisait peur aux oiseaux lui ! Alors je l'ai baffé. Et pis... »

*BAFFE*

« Tata Léon ! Stop ! On doit finir la mission là !! »

C'est bon. A cet instant, on était complètement grillés. On voyait déjà des gardes accourir de partout dans notre direction. Des dizaines. Une bonne baston en perspective non ? Sauf que nous n'avions pas le temps pour ça. Il était capitable que nous soyions rentrés pour le petit matin.

« Léon. Tu sais où se trouve la salle hein ? Selon mes calculs... Elle doit être à peu près à ce niveau de la façade. Bon évidemment, c'est une partie du donjon, c'est du solide et... »

« Oué c'est ça... tes calculs. On a vu où on en est gâce à eux hein ! »

« Rhaaa mais là j'suis sûr. Presque. Alors ce qu'il faudrait que tu fasses, c'est le démolir. »

« Avec mes petits poings c'est ça ? Attends, je fonce ! »

« Yeah ! »

« Beh non pas yeah. Tu vas le finir tout seul ce coup là. »

Je regardais à nouveau le donjon. Vite. Une autre idée. Je tapais alors machinalement contre un des gardes encore par terre.

*Bong!*

« Comment ça bong ? »

Ca n'était pas le garde. C'était dur. Imposant. Un canon.

« J'ai trouvé ce qu'il faut Léon. Voilà ton arme de démolition massive. Tu vas envoyer ça sur le mur ! »

« Moué... Ca pourrait être dans mes cordes.... Allez, c'est parti. »

Alors qu'il venait de s'envoler avec la pièce de fonte, cinq piquiers avaient déboulés sur les remparts. Il fallait les contenir, ou les éviter. A contre coeur, je choisis la seconde solution. Et sautais.

« AAAaaaAh ! »

*CRAC!*

« Nom d'un... p'tit bonhomme ? »

Une bonne chute. Un toit de chaume traversé, une poutre brisée en deux, et le réveil d'une famille. Je sortais en un rien de temps, et voyais Léon volant au dessus de moi. Le mur avait commencé à s'effriter.

« Magne toi Léon ! J'vais pas faire long feu ici moi ! »

« T'inquiètes gamin ! C'est la bonne cette fois-ci ! »

Et il avait raison. Lorsqu'il balança une dernière fois le canon contre les pierres, un énorme ébouli s'ensuivit. La victoire était à nous ! En quelques secondes, le dragon fouilla la pièce, s'empara de l'objet cherché, et m'appela enfin du bord de l'ouverture béante.

« RiRoOoOof !!! T'es où ? »

S'il n'avait pas oublié que j'avais pas d'ailes dans le dos pour faire des tourbillons dans le ciel, Léon aurait sûrement regardé à terre. Au lieu de cela, il scrutait le ciel noir.

« Mais bordel ! Je suis en bas, ça se voit pas ?! »

Cette fois-ci, il me vit. En train d'éviter des flèches comme je pouvais. Avec deux gros chiens aux fesses. Je criais à nouveau.

« Ca te dirait pas de les griller les toutous là ? Pis de me prendre dans tes papattes pour qu'on se barre d'ici vite fait ? »

Léon ne répondit pas, mais lâcha quelques salves fumeuses sur les gardes. De quoi les distraire en fin de compte. Vous auriez entendu leurs cris ! Jubilatoire ! Huk huk ! M'enfin, Léon a fini par s'occuper de moi, et hop ! Nous nous envolions. Mais mal. On n'avait même pas passé les remparts, qu'il me lâchait. Une mauvais prise sans doute, et un air rongeur que je n'avais pas assez développé assurément. Avec l'élan pris, je décrivis une jolie courbe, perdai mes jambes sur le haut des remparts, et plongeai dans les douves. Une bonne grosse bombe comme on aime à en faire quand on est un gamin.

Mon pote se posa aussitôt, me remit sur son dos, et nous pouvions filer.

Au petit matin, nous étions rentrés à la taverne. Bizarrement, personne ne cuvait dans la salle principale. Et pour cause... Mais ça n'était pas bien important, nous avions réussi. Nous possédions à nouveau ce qu'on nous avait pris, nous avions à nouveau ce qui était notre joie de vivre, notre joyau à tous les deux.

« Huk huk ! On l'a !!! ON L'A !!!! »

« Voué. T'éviteras de me brancher dans tes combines la prochain fois hein ? »

« Rhooo ! Tu serais pas un peu grincheux toi ? J'te signale que ton envol raté m'a valu de jolis atomes sur les cuisses ! »

« Un quoi ? Des hématomes ? C'est ça ? Toujours à l'ouest pour t'exprimer hein...Tu couinerais en voyant du sang couler... Continue à me faire rire comme ça, surtout t'arrêtes pas ! »

« Mouarf ! Allez, fais péter la réserve... J'ai une de ces soifs moi ! »

Léon sortit enfin l'objet. Une clé. Mais pas n'importe laquelle. Celle qui fermait la porte donnant accès aux tonneaux. Et lorsque le bois grinça, mes yeux brillèrent comme jamais.

« Et Krom décida que nous aurions nos bières ce matin... Huk huk ! RaziaAaAaAaa !!! »